samedi 31 mai 2008

UNE FATMA PARLE


Les paroles de la rose
Jean Pélégri


Je ne suis pas responsable de ce poème. Je l’ai composé en effet, avec des phrases sorties de la bouche d’une vieille femme de ménage arabe, dont je parle dans Les Oliviers c’est elle qui m’avait poussé à écrire ce livre.
Elle était le peuple - le vieux peuple algérien avec sa douceur et son sourire. Elle était la poésie.
Je ne lui ai servi que de kateb, c’est-à-dire d’écrivain public. Assis à l’ombre d’un mur, devant ses plumes et son écritoire, il rédige sous la dictée de ceux qui ne savent pas écrire. Ensuite, comme le destin, il sèche l’encre - avec un peu de sable.
Elle serait heureuse, je crois, si elle savait que sa lettre est bien arrivée. Elle s’appelait Fatima.
Jean Pélégri


Cette dédicace figure dans l’exemplaire du dépliant “ Les paroles de la rose ” déposé à la Bibliothèque Nationale d’Algérie, fond Sénac. Ce poème est paru dans Les lettres françaises le 31 août 1960.



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Les paroles de la rose

Le soleil c’est pour le Bon Dieu
Et le feu c’est pour les soldats

Nous sommes tous fous, m’sieur Jean
Dieu nous a tout donné

La main pour caresser
Et elle sert à tuer

La grenade pour la bouche
Et elle sert à mutiler

La terre pour tapis
Et elle sert à enterrer

Pourquoi tout ça, m’sieur Jean ?
Pourquoi ?
Dieu nous a tout donné

L’arbre pour son ombre
Et il sert aux embuscades

Le couteau pour l’orange
Et il sert pour la gorge

La nuit pour reposer
Et elle sert à veiller

Nous sommes tous fous, m’sieur Jean
Si tu veux boire la mer
C’est la mer qui te noie
Quand Dieu te donne un fils
Ce n’est pas pour l’enterrer

Mais tu dois sourire, m’sieur Jean
Le sourire c’est pour les vieilles

Le sourire protège les vieilles
C’est leur voile de mariée
Nous avions une odeur de jasmin
Et maintenant regarde, m’sieur Jean
Regarde mes bras et mes mains

La main qui sert à caresser
Sert aujourd’hui à mendier

Nous étions rose, jasmin et lilas
Regarde ma bouche et mes cheveux

Le sourire protège les vieilles
C’est leur voile de mariée

Il ne me reste que mes yeux
Et c’est pour voir mon fils tué

Regarde la lune dans le ciel
C’est une branche de palmier

Regarde là-haut cette montagne
Regarde cet avion qui passe
Mon fils aussi l’a regardé

Le soleil pour le Bon Dieu
Et le feu pour les soldats

Quand Dieu te donne un fils
Ce n’est pas pour l’enterrer
Mais plus haut il y a un figuier
Et une eau qui ne tarit pas
Plus haut il y a un jardin

Je vais mourir, m’sieur Jean
Regarde la lune qui se fend
Je vais mourir sans mon enfant

Mais il faut sourire m’sieur Jean
Le sourire protège les vieilles

On va m’enrouler dans un voile
Et me coucher seule dans la terre

Il faut sourire m’sieur Jean
C’est mon voile de mariée

Mais si tu marches dans un jardin
Pense à moi, m’sieur Jean
Pense à ta vieille Fatima
Elle a soigné ton enfant
Le sien elle ne l’avait plus

Quand Dieu te donne un fils
Ce n’est pas pour l’enterre

Pense à moi et puis souris
Moi je serai dans le jardin

Mais dis qu’que chose, m’sieur Jean
Dis qu’que chose toi qui sais lire
Dis qu’que chose pour que les autres
N’aient pas besoin de ce voile
Pour avoir sur terre un jardin


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Extraits d'une lettre de Dominique Le Boucher

Elle nous a fait l'amabilité de nous transmettre une copie de ce poème de Jean Pélégri - dont l'auteur nous avait offert un exemplaire que nous ne retrouvions pas - rencontré à Annaba en 1987 et à Toulouse en 2003 :


"Les paroles de la rose publié la première fois sous la forme d’une plaquette imprimée à la demande du CCf d’Alger en 1957. Ce texte a été ensuite publié comme postface au recueil Ma mère l’Algérie lui-même dédié à Fatima l’inspiratrice du poème aux Ed.Laphomic à Alger en 1989 et repris par les Ed.Actes-Sud en 1990. Nous l’avons repris à nouveau dans le livre Les deux Jean Jean Sénac l’homme soleil Jean Pélégri l’homme caillou copublié aux Ed.Chèvre-Feuille Etoilée à Montpellier et Ed.Barzakh à Alger en 2002.

Il existe de nombreux poèmes inédits ou publiés confidentiellement par mes soins dans Le Cahier Jean Pélégri Jean Pélégri le poète Les mots de l’amitié en 2007. La plupart ont été écrits ainsi que Les paroles de la rose lorsque Jean Pélégri vivait encore en Algérie et juste au moment de la guerre d’Indépendance. Il existe également comme vous le savez plusieurs poèmes illustrés par Abdallah Benanteur de gravures originales et publiés par lui-même aux ED.Hors-Commerce.".


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Mohamed Dib à propos de J.Pélegri:

"Algérien de naissance et l'un des plus grands écrivains d'aujourd'hui, plus grand que Albert Camus en tout cas, reste toujours ignoré en France. Pourquoi ? Parce que, pour marquer son appartenance au territoire algérien, il l'a compissé si fort qu'il a créé à son usage une autre langue française. Et là, le public français a renâclé, n'a pas voulu de lui. »(Mohammed Dib, Simorgh, Albin Michel, Paris, 2003)

Et Jean daniel lui a rendu quand même un hommage , même tardif :
"Aucun écrivain français d'Algérie, pied-noir comme on dit aujourd'hui sottement, n'a accepté comme il a fait l'Algérie tout entière et telle qu'elle était depuis toujours. Peut-être, à la rigueur, le poète Jean Sénac. Mais ni
Gabriel Audisio, ni Emmanuel Roblès, ni Jules Roy, ni Albert Camus ne se sont sentis, comme Jean Pélégri, aussi naturellement que lui, fils de toutes les Algérie, arabe, berbère, espagnole et française. Depuis les Oliviers de la justice jusqu'au Maboul, c'est un véritable cante jondo de l'Algérie paysanne qui est chanté par lui dans sa complexité baroque. Le Maboul est, avec Nedjma de Kateb Yacine, le seul roman faulknérien de notre littérature."
Jean Daniel, Pélégri l'Algérien, Le Nouvel Observateur, , 2- 8 octobre 2003 .


*En photo les deux Jean , Yahia, Pélegri et Sénac.
Reprise du site de D.Le Boucher.

jeudi 1 mai 2008

PREMIER MAI / LE BRIN OFFRANDE D'AMIS


Je me suis appuyée à la beauté du monde
Et j'ai tenu l'odeur des saisons dans mes mains.
Comme une fleur ouverte où logent des abeilles
Ma vie a répandu des parfums et des chants,
Et mon coeur matineux est comme une corbeille
Qui vous offre du lierre et des rameaux penchants
Anna de Noailles

AIN TAYA PAR LES PLAGES

Signé Mondy


A distance infime
L’enfant joufflu dans un fauteuil d’osier
La sœur en jupe écossaise
debout un doudou de service
emprunté
un ours en peluche
dans les bras chez Mondy
-photographe pied –noir de son état-
dans un village de l’Algérie de papa

Instantané sépia
Mais déjà quelque part dans les Aurès
- La poudre avait parlé–
Ainsi que dans l’Echo d’Alger

L’anisette n’avait plus le même goût