lundi 1 décembre 2008

POUR MEMOIRE: Je reviens de Salon


Darwish
à Anne

Paroles en train

Pourquoi faudrait-il avouer
Que l’on a vécu
Preuves de vie
Stigmates
Murmures au creux de la Mort
Déjà en lignes de fuite la cité
Les rails
Dévident des songes posés
En devinette au mistral

Marseille se tend de toute notre Dame-de- la Garde
Noyée dans une brume solaire

Les morts dorment-ils vraiment
On aime à le croire
Ils sont pourtant poussières dans la terre
Le poème pousse ses illusions
Tel le vent le fait des nuages
Un cirque céleste

La Provence a un air de Galilée
les pins droits dans leur tristesse
des cimetières que l’on ne voit plus

André nous a dit les leçons de Hourriya
Le Galiléen aimait la Provence
Anne se demandait pourquoi il ne parlait la langue d’Eluard
Par égard à sa mère
Ou faute d’une Elsa

Il voulait égorger sa jument en plein Paris
pour une Etrangère

Il est parti vers son étoile des arènes d’Arles
Le sang de Vincent n’a pas encore séché sur les toiles
Des soleils déments roulent dans le mistral
Les oranges de la saison prochaine auront

Un goût d’outre-tombe
Les rails semblent piailler
Comme des corbeaux prophétiques
C’est d’eux que les hommes ont appris l’art des funérailles

Le Galiléen nous abandonne
à Nostradamus

Le mistral souffle
Souffle jusqu’à Ramallah


Je reviens de Salon

C’est maintenant que commence
Le règne du Maître tourneur
Dans le monde invisible
De l’Indivise parole
Abdelmadjid Kaouah

23 11 08

Chronique des deux rives : Retour à Darwish


Retour à Darwish en Salon de Provence


Il est des poètes dont le deuil ne s’achève jamais. On parle de la mort de Lorca comme si c’était hier. Et l’idée de l’exhumer de la fosse de Viznar où il fut fusillé en compagnie de deux obscurs compagnons (une réédition profane de la passion christique grâce aux sinistres séides franquistes) pour être inhumé dans un mausolée à sa gloire, soulève dans l’Espagne d’aujourd’hui force controverse. Mahmoud Darwish, la voix, le champion et le héraut du martyrologue du peuple palestinien, depuis sa disparition inattendue (et la mort est-elle jamais attendue pour n’importe quel homme) le 9 août dernier sur une tale d’opération chirurgicale américaine, Mahmoud Darwish repose sur une colline de Ramallah, face à Jérusalem. Et lui qui avait de son vivant récusé les ors et les maroquins d’une improbable Autorité palestinienne pour mener une vie e citoyen auprès des siens à Ramallah, surtout en durant le siége imposé par Israël en 2002, a vu ses mânes ointes tant par son peuple que par les officiels. Peut-on échapper à son destin, quand à 12 ans , on écrit en toute innocence à l’école de l’occupant israélien un poème dénonçant la Nakba, que l’on se fait tancer et menacer pour cela par un gouverneur militaire ? On ne peut vivre, aimer et mourir que dans la passion extrême des siens et des autres. Tel ce Joueur de dès*, toujours jouant sur un volcan :
Qui suis-je pour vous direce que je vous dis ?Je ne suis pas la pierre façonnée par l’eaupour que je devienne visageni le roseau percé par le ventpour que je devienne flûte…Je suis le joueur de désje gagne ou je perdsJe suis votre pareilou un peu moins…
Quelle modestie. Je reviens de Salon. Salon de Provence, citée passée à la postérité comme la ville natale et le tombeau, (en église, en travaux,)) du redoutable Nostradamus. Pour les plus jeunes, elle est connue pour accueillir l’intrépide Patrouille de France. Dans cette ville de 40. 000 âmes, la municipalité et la chevronnée Association Salon Culture, répondant à la suggestion de quelques admirateurs de oeuvres de Mahmoud Darwish, ont tenu à rendre à ce dernier fin novembre dernier. Votre serviteur y était pour introduire l’hommage et déclamer (avec quelle maladresse) pour la première fois en public quelques poèmes d Mahmoud Darwish. Devant une assistance qu’on pouvait considérer comme un succès d’estime pour les organisateurs (à l’instar de certains livres qui sans devenir des best-sellers obtiennent notoriété et estime). Et ce, avec la complicité d’un impeccable comédien, André Levêque, pour ne pas le nommer. Ainsi, l’espace d’une soirée Darwish fit de l’ombre à Nostradamus et autres curiosités de la ville (qu’une visité empressé permit de découvrir: hélas, un sabre de l’Emir Abdelkader exposé habituellement était à l’étude).Le Galiléen, M.Darwish, appréciait la région dont il était devenu au, fil des temps, grâce à Actes Sud et à Farouk Mardam Bey, le directeur de la collection Sindbad. Qui sait que Mahmoud Darwish fut, à sa manière, et dans les conditions historiques du drame de tout le peuple palestinien, une sorte de « sans-papiers », avant l’heure. En effet ; il a frappé aux portes de la France vers les années 60. Les portes sont restées fermées lors de sa sortie d'Israël en 1968.Il a voulu y trouver refuge. Mais comme il était arabe et avait des papiers israéliens, sans indication de nationalité. On a trouvé cela bizarre et on l'a mis dans un avion retour. .. (Il n' y avait pas encore de charter à l’époque). Après le siège de Beyrouth, dans les années 80, elles se sont enfin ouvertes pour lui et ce fut le départ de Paris pour sa célébrité dans le monde. Il n'est pas resté ce poète reconnu seulement dans sa terre d'origine mais il y a conquis la célébrité et l'universalité. Il faut lire et relire l’émouvant et ardent Sarîr al-gharîba « Le Lit de l’Etrangère » (Actes Sud 2000, traduction de l’arabe par Elias Sanbar) Entre deux rives et mille exils. Reconnaissant, il confessa : «"Ce que je sais, c'est que Paris a été mon véritable lieu de naissance en tant que poète. Quand je fais un tri dans ma poésie, j'accorde une place particulière à ce que j'ai écrit à Paris, dans les années 1980et au-delà. C’est là que l'occasion m'a été offerte de méditer sur la patrie, le monde et les choses de la vie, et cela en maintenant une certaine distance, qui était lumineuse. On voit mieux de loin car on découvre le paysage dans son ensemble" Entretiens sur la poésie, Actes Sud 2006.
ET de cette région solaire, qu il a donné son récital testamentaire dans les arènes de la ville d'Arles avant de s'envoler vers son destin, son éternité de poète, décédant quelques semaines à peine, aux Amériques... Michel de Nostradamus, dans ses célèbres prophéties, avait-il prédit ce destin ? L’apothicaire et astrologue redouté de la reine Catherine Médicis était néanmoins poète.
Merci donc aux Gens de Salon-de-Provence, à ses édiles, à Jean Michard de Salon Culture, à Keltoum, à Anne, à Fouzia, Catherine, Louis, à Lotfi, Simone et Jean, et ceux qui ont fait le déplacement de Marseille ou d ailleurs, Fethi, Saïd, et que ceux que j’oublie de nommer, faute d’espace et de mémoire, soient indulgents…. La fondation d’une nouvelle association est en chantier à salon et sa région. Bon vent et Salem, paix ! Et quels meilleurs auspices que ceux d’un poète fraternel, l’impérissable amoureux de la mythique juive Rita , l’amante perdue pour cause de guerre!
A.K.

______________

* Quel magnifique hommage rendu au poète lors de son quarantième Jour, au centre culturel d’Al Nassira, Nazareth par le trio palestinien Joubran transmis en direct par Al Djazeera (on peut le voir sur Dailymotion). Par ailleurs, la Ville rose, Toulouse, accueille le 6 décembre à la librairie La Renaissance, à Basso Cambo, un hommage à M.Darwish, en présence de nombreux poètes de la région et de son éditeur, à Farouk Mardam Bey.

Jean-Claude XUEREB: JE PARLE D'UNE VILLE...


Jean-Claude XUEREB

Né en 1930 sur les hauteurs d'Alger, ville où il passe enfance et jeunesse et poursuit ses études. Il assiste, en mars 1948, aux rencontres de Sidi Madani, où il approche Camus, Dib, Roblès, Sénac...En 1952, il rencontre à la Fac d'Alger Jamel Eddine Bencheikh qui devient son ami. Fin 1961, il rejoint définitivement la France avec femme et enfants et il entre dans la magistrature qu'il quittera en 1991. A partir de 1962 s'instaure une durable amitié avec René Char.
Entré au conseil de la rédaction de la Revue SUD à Marseille en 1993, il prépare en 1995 un numéro hors série de cette revue :''Algérie l'exil intérieur'' ( textes de 33 écrivains nés en Algérie). Il participe à l'animation des ''Rencontres méditerranéennes Albert Camus à Lourmarin'', entre 2000 et 2004, auxquelles sont conviés notamment des écrivains algériens. Il est invité au ''Printemps des poètes''à Tunis en mars 2002 et à Alger en mars 2003. Il participe et intervient à deux colloques consacrés à Camus en Algérie, l'un à Oran en octobre 2004, l'autre à Alger et Tipasa en juin 2005.
Une douzaine de recueils de poèmes paraissent chez Rougerie, de ''Marches du temps (1970) à ''Passage du témoin'' ( 2004) A paraître début 2008 : ''Entre cendre et lumière''. A collaboré à de nombreuses revues poétiques.
Il partage sa vie entre Avignon et une maison parmi les garrigues de l'Uzège.

Poème '' Vacance d'une ville'', écrit après mon dernier voyage de juin 2005 à Alger, dans mon recueil '' Entre cendre et lumière'', chez Rougerie.




‘’…Pour ceux qui connaissent les déchirements du oui et du non, de midi et des minuits, de la révolte et de l’amour, pour ceux qui aiment les bûchers devant la mer, il y a, là-bas, une flamme qui les attend.’’ Albert Camus ( Petit guide pour des villes sans passé) ‘’L’été ‘’ - 1954




Vacance d'une ville

Je parle d’une ville d’enfance abolie
où les rues perdent mémoire de leur nom
les maisons y ensoleillent leur épiderme
en lumière et des arcades fusent les souffles
inchangés de senteurs et de fraîcheur marines


Une main effleura le poli d’une table
entrouvrit les hauts battants d’une bonnetière
sur la blancheur d’un linge au parfum de lavande
bientôt se figerait le cœur de la pendule


Les portes furent soigneusement verrouillées
dans l’illusoire persuasion d’un retour
sac et valise en mains pour l’ultime voyage
parmi l’anxiété d’une foule vers l’exil

Ni cyclone ni séisme entre ciel et terre
mais à travers le rythme brutal des saisons
une dispersion de fourmilière affolée
sous un piétinement aveugle de débâcle
puis la paix soudaine d’une veillée d’arme


Des hauteurs les villas volets clos s’ensommeillent
allées de jardins alanguis au soleil
hamac ou chaise longue à rêver d’une sieste
les fleurs assoiffées s’affaissent sur leur tige


Peu à peu enfle la rumeur d’une autre foule
qui envahit les rues fracture les portes
les bras chargés d’objets on crie on s’interpelle
dans la joie s’installent les nouveaux venus
s’appropriant l’intime d’une déshérence


Passe le temps sur la précarité des choses
en flux et en reflux de conflits et conquêtes
et puis glisse l’oubli les plaies se referment
l’histoire réécrit les griefs et les torts


L’une après l’autre s’efface l’ombre des corps
les tombes s’effondrent dans l’herbe et les racines
après dissipation des êtres quel écho
se répercuterait au mutisme des pierres

Ici revenu je ne suis qu’un visiteur
libéré des tourments de vaine nostalgie
voué à respirer l’innocence de l’air
à renouer avec les émois d’un enfant
guettant au bout des rues la vision du large



J’accueille d’un regard neuf l’éclat du matin
un rameau d’amandier rayonne de ma joie
ma gorge s’éblouit dans le sang d’une orange
je savoure la chair goulue des cerises
où mes lèvres pressent l’aréole d’un sein




Ainsi s’égaille la vacance d’une ville
par le chant réconcilié de la mémoire
dans une pause heureuse du temps retrouvé
car nulle frontière n’enferme le désir
lorsque l’amour féconde la chair du poème
J-C XUEREB