dimanche 3 mai 2009

ANNNA GREKI JUSTE AU-DESSUS DU SILENCE




Ce fut une sorte de météore.
Humainement et littérairement parlant.
A chaque fois que l’on revisite ses textes et son parcours, une impression d’inépuisable ardeur fraîcheur retient le regard :

Je parle bas tout juste au-dessus du silence
Pour que même l'autre oreille n’entende pas
La terre dort à ciel ouvert et dans ma tête
se prolonge avec des rigueurs d'asphodèles
J'ai repeuplé quelques déserts beaucoup marché
Alors je gis dans ma fatigue et dans ma joie
Ces varechs jetés par les lames des étés


Celle qui clamait que « Le bonheur tombe dans le domaine public ».n’aura pas, hélas, longtemps vécu. Une œuvre brève réduit à deux recueils dont l’un est posthume et des publications en anthologie et dans la presse. Elle a tâté du journalisme mais c’est l’enseignement dont il fit sa profession. A l’instar de ses parents, instituteurs dans les Aurès à l’humanisme affirmé, Colette Grégoire, tel est son nom véritable est né en 1936 à Batna et a grandi à « Menaâ /Commune mixte Arris /Comme on dit dans la presse ».Elle s'est profondément investie dans le combat algérien : « Je ne sais plus qu’aimer la rage au cœur/ C’est ma manière/ d’avoir du cœur à revendre/ Dressés comme un roseau dans ma langue/ les cris de mes amis/ coupent la quiétude meurtrie/ Pour tous/ dans ma langue/ et dans tous les replis/ de la nuit luisante/ je ne sais plus qu’aimer/ au cœur qu’avec cette plaie »Son engagement lui a valu la prison de Barberousse, les camps, l’expulsion et l’exil à Tunis. C’est d’ailleurs là que paraîtra en 1963 son premier et dernier recueil paru de son vivant : « Algérie, Capitale Alger » (Collection « J’exige la parole », Ed. Pierre Jean Oswald). Texte original et traduction en arabe de Tahar Cheriaa. La préface était signée de Mostéfa Lachraf. Des poèmes d’exigence qui brillent par leur sincérité et leur accent autobiographiques. Sa passion politique- qui s’inscrivait dans l’utopie révolutionnaire marxiste allait de pair avec la passion amoureuse. Dans « Algérie, capitale Alger » ces deux thèmes constituent, avec l'évocation des paysages de son enfance, les ressorts de son inspiration lyrique.
Sa parole fondée sur "une lucide connaissance du mal" est porteuse d'un énergique optimisme qu'elle clame dans des vers à la facture classique et cependant novatrice. Dans cette poésie, la sensiblerie n'est pas de mise. Bien au contraire des accents violents se font entendre quand elle parle des "femmes fières d'avoir le ventre rouge / à force de remettre au monde leurs enfants". Nostalgie de l’enfance, des âpres paysages chaouias où elle a grandi, où ses racines plongent : "Tout ce qui me touche en ce monde jusqu'à l'âme / sort d'un massif peint en rose et blanc sur les cartes.

Elle meurt après l'indépendance, en hiver 1996, des suites d’un accouchement. Elle laisse un recueil posthume « Temps fort « (Présence Africaine, 1966) où l'on peut découvrir de nombreux poèmes qui traduisent le désenchantement et la déception au spectacle de l'arrivisme social et l’écart avec les idéaux proclamés durant « le combat algérien ». « Dans des pays des morceaux de moi font semence » a-t-elle aussi écrit.


On ne sème pas en vain.

Elle fait partie de ces éclaireurs de la fraternité humaine qui ont préservé les chances d’un dialogue d’avenir entre les deux rives de la Méditerranée.

Abdelmadjid Kaouah

ANACHRONIQUE RETOUR A DARWISH




Il est des poètes dont le deuil ne s’achève jamais.
On parle de la mort de Lorca comme si c’était hier.
Et l’idée de l’exhumer de la fosse de Viznar où il fut fusillé en compagnie de deux obscurs compagnons (une réédition profane de la passion christique grâce aux sinistres séides franquistes) pour être inhumé dans un mausolée à sa gloire, soulève dans l’Espagne d’aujourd’hui force controverse.
Mahmoud Darwish, la voix, le champion et le héraut du martyrologue du peuple palestinien, depuis sa disparition inattendue (et la mort est-elle jamais attendue pour n’importe quel homme) le 9 août dernier sur une tale d’opération chirurgicale américaine, Mahmoud Darwish repose sur une colline de Ramallah, face à Jérusalem. Et lui qui avait de son vivant récusé les ors et les maroquins d’une improbable Autorité palestinienne pour mener une vie e citoyen auprès des siens à Ramallah, surtout en durant le siége imposé par Israël en 2002, a vu ses mânes ointes tant par son peuple que par les officiels. Peut-on échapper à son destin, quand à 12 ans , on écrit en toute innocence à l’école de l’occupant israélien un poème dénonçant la Nakba, que l’on se fait tancer et menacer pour cela par un gouverneur militaire ? On ne peut vivre, aimer et mourir que dans la passion extrême des siens et des autres. Tel ce Joueur de dès, toujours jouant sur un volcan :

Qui suis-je pour vous direce que je vous dis ? Je ne suis pas la pierre façonnée par l’eau pour que je devienne visageni le roseau percé par le ventpour que je devienne flûte…Je suis le joueur de dés je gagne ou je perds Je suis votre pareil ou un peu moins…
Quelle modestie. Je reviens de Salon. Salon de Provence, citée passée à la postérité comme la ville natale et le tombeau, (en église, en travaux,)) du redoutable Nostradamus. Pour les plus jeunes, elle est connue pour accueillir l’intrépide Patrouille de France. Dans cette ville de 40. 000 âmes, la municipalité et la chevronnée Association Salon Culture, répondant à la suggestion de quelques admirateurs de oeuvres de Mahmoud Darwish, ont tenu à rendre à ce dernier fin novembre dernier. Votre serviteur y était pour introduire l’hommage et déclamer (avec quelle maladresse) pour la première fois en public quelques poèmes d Mahmoud Darwish. Devant une assistance qu’on pouvait considérer comme un succès d’estime pour les organisateurs (à l’instar de certains livres qui sans devenir des best-sellers obtiennent notoriété et estime). Et ce, avec la complicité d’un impeccable comédien, André Levêque, pour ne pas le nommer. Ainsi, l’espace d’une soirée Darwish fit de l’ombre à Nostradamus et autres curiosités de la ville (qu’une visité empressé permit de découvrir: hélas, un sabre de l’Emir Abdelkader exposé habituellement était à l’étude).Le Galiléen, M.Darwish, appréciait la région dont il était devenu au, fil des temps, grâce à Actes Sud et à Farouk Mardam Bey, le directeur de la collection Sindbad. Qui sait que Mahmoud Darwish fut, à sa manière, et dans les conditions historiques du drame de tout le peuple palestinien, une sorte de « sans-papiers », avant l’heure. En effet , il a frappé aux portes de la France vers les années 60. Les portes sont restées fermées lors de sa sortie d'Israël en 1968.Il a voulu y trouver refuge. Mais comme il était arabe et avait des papiers israéliens, sans indication de nationalité. On a trouvé cela bizarre et on l'a mis dans un avion retour. .. (Il n' y avait pas encore de charter à l’époque). Après le siège de Beyrouth, dans les années 80, elles se sont enfin ouvertes pour lui et ce fut le départ de Paris pour sa célébrité dans le monde. Il n'est pas resté ce poète reconnu seulement dans sa terre d'origine mais il y a conquis la célébrité et l'universalité. Il faut lire et relire l’émouvant et ardent Sarîr al-gharîba « Le Lit de l’Etrangère » (Actes Sud 2000, traduction de l’arabe par Elias Sanbar) Entre deux rives et mille exils. Reconnaissant, il confessa : «"Ce que je sais, c'est que Paris a été mon véritable lieu de naissance en tant que poète. Quand je fais un tri dans ma poésie, j'accorde une place particulière à ce que j'ai écrit à Paris, dans les années 1980et au-delà. C’est là que l'occasion m'a été offerte de méditer sur la patrie, le monde et les choses de la vie, et cela en maintenant une certaine distance, qui était lumineuse. On voit mieux de loin car on découvre le paysage dans son ensemble" (Entretiens sur la poésie, Actes Sud 2006).
Et de cette région solaire, il avait donné son récital testamentaire dans les arènes de la ville d'Arles avant de s'envoler vers son destin, son éternité de poète, décédant quelques semaines à peine, aux Amériques...
Michel de Nostradamus, dans ses célèbres prophéties, avait-il prédit ce destin ?
L’apothicaire et astrologue redouté de la reine Catherine Médicis , on le sait peu, était néanmoins poète.
A.K.