dimanche 19 février 2012

Jean-Claude XUEREB ou les saisons de passage


                      











Jean-Claude Xuereb, dessiné par Jacques Basse





















Passant inconnu,
presque
clandestin
à travers
les rues jadis familières.
Les fenêtres de nos maisons
ont dispersé depuis
longtemps l’écho
de nos paroles :
la même turbulence
d’enfants recouvre
le silence de nos ombres évaporées…
Nous pouvons tourner la page.

Ultime adieu au pays

J.C. XUEREB






Jean-Claude Xuereb, aujourd'hui âgé de 81ans vient d’écrire depuis Avignon, ce qu’il nomme  son « Ultime  adieu  au pays ». Jean-Claude XUEREB est né en 1930 sur les hauteurs d'Alger, ville où il a passé enfance et jeunesse et poursuivit ses études. Il a longtemps vécu à Belcourt comme « Camus l’enfant de Belcourt «  (titre des son texte  dans « Albert Camus : Nouvelle présence », Autre Sud  44-2009). Il assisté, en mars 1948, aux rencontres de Sidi Madani, où à 17 ans  il a approché  Camus, Dib, Roblès, Sénac...En 1952, il rencontre à la Fac d'Alger Jamel Eddine Bencheikh qui deviendra  son ami constant jusqu’à sa disparition. Fin 1961, il a rejoint définitivement la France avec femme et enfants et  entre dans la magistrature qu'il quittera en 1991. A partir de 1962 s'instaure une durable amitié avec René Char. Entré au conseil de la rédaction de la Revue SUD à Marseille en 1993, il prépare en 1995 un numéro Hors série de cette revue :''Algérie l'exil intérieur'' (textes de 33 écrivains nés en Algérie). Il participe à l'animation des ''Rencontres méditerranéennes Albert Camus à Lourmarin'', entre 2000 et 2004, auxquelles sont conviés notamment des écrivains algériens. Il est invité au ''Printemps des poètes'' à Tunis en mars 2002 et à Alger en mars 2003. Il a participé et intervenu  à deux colloques consacrés à Camus en Algérie, l'un à Oran en octobre 2004, l'autre à Alger et Tipasa en juin 2005.Des liens familiaux l’attachent également  avec son pays natal.

Il a  son actif une douzaine de recueils de poèmes parus  chez Rougerie, de ''Marches du temps (1970) à  ''Entre cendre et lumière'' en passant par ''Passage du témoin’’.                              Il a  collaboré à de nombreuses revues poétiques. Il partage sa vie entre Avignon et une maison parmi les garrigues de l'Uzège.

Dans les « Actes des Rencontres « Audisio, Camus Roblès frères de soleil » (Edisud 2003), J.C. Xuereb  nous donne à lire une précieuse approche de cette fameuse « Ecole d’Alger  des lettres. L’intitulé  de sa contribution est on ne peut plus prudent. « L’Ecole d’Alger, mythe ou réalité » de Jean-Claude XUEREB

En effet un rêve méditerranéen  a soufflé  sur les rivages de l’Afrique du Nord, il y a bien longtemps, dès les années trente. Une époque trouble, lourde de cataclysmes futurs, dans une Europe ravagée par la grande crise de 1929. Sur les rives d’Alger, au soleil, cet astre qui rend, dit-on,  la misère moins implacable, l’utopie méditerranéenne était en chantier et prenait par un effet journalistique  un nom  emblématique : « L’école d’Alger ». Jusqu’à là, en Afrique du Nord, et plus singulièrement, en Algérie coloniale, régnait  l’Ecole Algérianiste.                      
  Elle se réclamait de Louis Bertrand,   l’auteur du « Sang des races »,  tenant d’une latinité exclusiviste, développée par  l’Ecole Algérianiste. Selon les termes de son   Manifeste de  1920, elle  prétendait à une  « autonomie esthétique » par rapport à la Métropole.

Elle se manifesta  durant une quinzaine d’années, autour de Robert Rondeau. Pour  Jean-Claude Xuereb « cette démarche, non dénuée d’arrière-pensées politiques…faisant allègrement l’impasse sur un millénaire de culture arabo-musulmane » afin de « rattacher cette présence française, dans une continuité historique, à l’Afrique romaine, puis chrétienne du Bas empire ». Cette Ecole, même sur le plan littéraire n’a pas laissé de souvenirs …

Les écrivains de la génération suivante  prendront leur distance d’autant plus que dans les années trente, « la référence à la romanité apparaissait d’autant plus suspecte qu’elle semblait faire écho aux revendications fracassantes du fascisme italien » (J-C.Xuereb). Ils chercheront ailleurs leur inspiration.

Camus en créant en 1937 à Belcourt une maison de la culture intitulait son bulletin « Jeune Méditerranée » en prolongement des essais de Gabriel Audisio  qui exaltait l’ouverture vers l’héritage grec. La constitution de ce qui fut dénommée «  l’Ecole d’Alger »  s’appuiera  naturellement sur cet initiateur.  Ses essais sur la Méditerranée ouvrent à la voie à un ressourcement dans un héritage méditerranéen plus affirmé et  tendu  vers  l’universalité. Dans un communiqué attribué à Camus, « l’objet principal est de rejeter la mystique de la latinité telle que l’exploite la propagande fasciste »  afin de maintenir «  entre l’Europe méditerranéenne et l’Afrique la survivance de leur origine commune qu’est l’Orient ». Cet idéal ne pouvait que récuser toute forme d’inégalité ou de ségrégation ethnique ou appartenance religieuse. . La défaite  française de 1940 face à l’Allemagne hitlérienne, l’occupation allemande conduisent à  la rupture totale avec la Métropole.

 Alger devient en conséquence la capitale de la France Libre ou fleurissent les revues (Fontaine, l’Arche, la Nef)  et la librairie « Les vraies richesses » et les éditions Charlot deviennent le lieu d’une effervescence intellectuelle notable. A cette mouvance qui compte  Camus, Roblès, Max-Pol Fouchet, Jules Roy, Jean Pélegri,  se joignent Jean El Mouhouv Amrouche et sa sœur Marguerite-Taos Amrouche. Pélegri. Plus tard, avec les « Rencontres de Sidi Madani », cette mouvance intellectuelle et littéraire  elle fut sans conteste  le lieu d’amitiés et de confrontation  d’affinités communes de toutes origines  autour de la revue « Forge »  avec la participation de Mohamed Dib, Kateb Yacine, Malek Ouari, Ahmed Sefrioui… »Ceux d’entre eux, issus de la minorité européenne de l’Algérie, déplorent la mentalité « petit blanc » qui entache les relations humaines…» indique J-C Xuereb qui prit part très jeune à une rencontre de Sidi Madani (La Citadelle des Gorges de la Chiffa qui fut à l’époque une auberge de la jeunesse). Certains qui vécurent de près l’aventure littéraire  algéroise ne sont  pas loin de la considérer comme un   brillant et éphémère …canular. S’il n’y eut point de chapelle consacrée, l’idéal de la fraternité humaine avait fait une percée .Ecole fantomatique à l’appellation d’origine non contrôlée, elle aura cristallisé la rencontre d’écrivains  nés ou ayant longtemps vécu « sur un même rivage de soleil ».  Dans «  Le Mythe al- Andalous et les écrivains algériens », Xuereb ajoute :   (…)  Dans la mémoire des hommes, l’histoire d’al – Andalous est demeurée un modèle vivant de coexistence conviviale. Dès le XII ème siècle, un historien maghrébin, al – Maqqari a présenté, à l’intention des lecteurs arabes, une histoire générale d’al – Andalous, dont il avait lui-même vécu la fin avec l’expulsion des Morisques. Les écrivains arabes des XIX ème et XX ème siècle ont perpétué l’image d’un ‘’paradis perdu’’ andalou dans une perspective romantique et nationaliste. De leur côté, les historiens espagnols, après avoir longtemps minimisé l’importance de la période arabo – andalouse, voire nié la réalité même de celle-ci, ont de plus en plus largement fait référence, surtout depuis l’avènement récent de la démocratie dans leur pays, à l’univers pluriel d’une ‘’Espagne des trois religions’’…  Le mythe andalou a traversé, de manière plus ou moins explicite, le rêve méditerranéen créé et entretenu par toute une génération d’écrivains à partir des années 30, ceux auxquels a été ensuite appliquée l’appellation quelque peu artificielle d’Ecole d’Alger’’ ».

                                        Jean Pélégri ( à gauche) et Jean-Claude Xuereb ( à droite)
                                                            Cahiers des Diables bleus
     

Autant de traces de mémoire pour tenter une tenace nostalgie avivée par l’âge


« A travers le temps et l’espace, les mains se joignent puis se disjoignent. Le destin des êtres se noue  se dénoue inexplicablement », écrit J.C. Xuereb dans son « Ultime adieu au pays ».Eclats de mémoire de l’enfant qui n’a jamais quitté le vieil homme. Dans Requiem pour une jument nommée « Lorraine », il nous donne à voir avec une précision d’horloger une scène d’enfance, « un voyage hors du quotidien »  avec le père sur un  char à bancs vers les halles de Belcourt. Autant de traces de mémoire, avoue-t-il  pour tenter une tenace nostalgie avivée par l’âge. En « passant inconnu, presque clandestin », il revisite après des décennies, les lieux de son enfance. Le temps et les hommes ont fait leur œuvre corrosive. « Les fenêtres de nos maisons ont dispersé depuis longtemps l’écho de nos paroles : la  même turbulence d’enfants recouvre le silence de nos ombres évaporées…Nous pouvons tourner la page », écrit XUEREB. Ultimes paroles, peut-être, d’avenir, cinquante après.


A.K.








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