dimanche 31 mai 2015

Un rêve mé diterranéen (1)


Par Abdelmadjid Kaouah



Un rêve méditerranéen a soufflé sur les rivages de l’Afrique du Nord, il y a bien longtemps, dès les années trente. Une époque trouble, lourde de cataclysmes futurs, dans une Europe ravagée par la grande crise de 1929. Sur les rives d’Alger, au soleil, cet astre qui rend, dit-on, la misère moins implacable, l’utopie méditerranéenne était en chantier et prenait par un effet journalistique  un nom emblématique : « L’école d’Alger ». Jusque-là, en Afrique du Nord, et plus singulièrement, en Algérie coloniale, régnait  l’Ecole algérianiste. Elle se réclamait de Louis Bertrand, l’auteur du « Sang des races »,  tenant d’une latinité exclusiviste, développée par l’Ecole algérianiste. Selon les termes de son Manifeste de 1920, elle  prétendait à une « autonomie esthétique » par rapport à la Métropole. Dans les « Actes des Rencontres « Audisio, Camus, Roblès, frères de soleil » (Edisud 2003), J-C Xuereb nous donne à lire une précieuse approche de cette fameuse « Ecole d’Alger des lettres ». L’intitulé  de sa contribution est, on ne peut plus, prudent.

« L’Ecole d’Alger, mythe ou réalité » de Jean-Claude Xuereb. Elle se manifesta durant une quinzaine d’années, autour de Robert Rondeau. Pour Jean-Claude Xuereb, « cette démarche, non dénuée d’arrière-pensées politiques… faisant allègrement l’impasse sur un millénaire de culture arabo-musulmane » afin de « rattacher cette présence française, dans une continuité historique, à l’Afrique romaine, puis chrétienne du Bas empire ». Cette école, même sur le plan littéraire n’a pas laissé de souvenirs… Les écrivains de la génération suivante prendront leur distance d’autant plus que dans les années trente, « la référence à la romanité apparaissait d’autant plus suspecte qu’elle semblait faire écho aux revendications fracassantes du fascisme italien » (J-C Xuereb). Ils chercheront ailleurs leur inspiration.

Camus en créant en 1937 à Belcourt une maison de la culture intitulait son bulletin « Jeune Méditerranée » en prolongement des essais de Gabriel Audisio, qui exaltait l’ouverture vers l’héritage grec. La constitution de ce qui fut dénommée «  l’Ecole d’Alger »  s’appuiera  naturellement sur cet initiateur. Ses essais sur la Méditerranée ouvrent la voie à un ressourcement dans un héritage méditerranéen plus affirmé et  tendu  vers  l’universalité. Dans un communiqué attribué à Camus, « l’objet principal est de rejeter la mystique de la latinité telle que l’exploite la propagande fasciste »  afin de maintenir « entre l’Europe méditerranéenne et l’Afrique la survivance de leur origine commune qu’est l’Orient ». Cet idéal ne pouvait que récuser toute forme d’inégalité ou de ségrégation ethnique ou appartenance religieuse. La défaite  française de 1940 face à l’Allemagne hitlérienne, l’occupation allemande conduisent à la rupture totale avec la Métropole.
Alger devient en conséquence la capitale de la France Libre ou fleurissent les revues (Fontaine, l’Arche, la Nef) et la librairie « Les vraies richesses » et les éditions Charlot deviennent le lieu d’une effervescence intellectuelle notable. A cette mouvance qui compte Camus, Roblès, Max-Pol Fouchet, Jules Roy, Jean Pélegri, se joignent Jean El Mouhouv Amrouche et sa sœur Marguerite-Taos Amrouche. Pélegri. Plus tard, avec les « Rencontres de Sidi Madani », cette mouvance intellectuelle et littéraire, elle fut sans conteste le lieu d’amitiés et de confrontations  d’affinités communes de toutes origines autour de la revue Forge avec la participation de Mohammed Dib, Kateb Yacine, Malek Ouari, Ahmed Sefrioui… » Ceux d’entre eux, issus de la minorité européenne de l’Algérie, déplorent la mentalité « petit blanc » qui entache les relations humaines… », indique  J-C Xuereb qui prit part très jeune à une rencontre de Sidi Madani (La Citadelle des gorges de la Chiffa qui fut à l’époque une auberge de la jeunesse).

Certains qui vécurent de près l’aventure littéraire  algéroise ne sont pas loin de la considérer comme un brillant et éphémère… canular. S’il n’y eut point de chapelle consacrée, l’idéal de la fraternité humaine avait fait une percée. Ecole fantomatique à l’appellation d’origine non contrôlée, elle aura cristallisé la rencontre d’écrivains  nés ou ayant longtemps vécu « sur un même rivage de soleil ». Dans « Le Mythe Al Andalous et les écrivains algériens », Xuereb ajoute : « (…) Dans la mémoire des hommes, l’histoire d’Al Andalous est demeurée un modèle vivant de coexistence conviviale.

Dès le XIIe siècle, un historien maghrébin, Al Maqqari a présenté, à l’intention des lecteurs arabes, une histoire générale d’Al Andalous, dont il avait lui-même vécu la fin avec l’expulsion des Morisques. Les écrivains arabes des XIXe et XXe siècles ont perpétué l’image d’un « paradis perdu » andalou dans une perspective romantique et nationaliste. De leur côté, les historiens espagnols, après avoir longtemps minimisé l’importance de la période arabo-andalouse, voire nié la réalité même de celle-ci, ont de plus en plus largement fait référence, surtout depuis l’avènement récent de la démocratie dans leur pays, à l’univers pluriel d’une « Espagne des trois religions »… Le mythe andalou a traversé, de manière plus ou moins explicite, le rêve méditerranéen créé et entretenu par toute une génération d’écrivains à partir des années 1930, ceux auxquels a été ensuite appliquée l’appellation quelque peu artificielle d’« Ecole d’Alger ». La mémoire entre les deux rives de la Méditérranée, à juste titre, se retisse – en dépit des vicissitudes de l’histoire – à travers de grands noms, symboles respectés et admirés. Ce fut le cas en 2007, pour le Centenaire de Jules Roy, célébré en Algérie comme en France. En l’an de grâce 2013, la mémoire se tourne, simultanément vers le poète Jean Sénac, dont c’est le quarantième anniversaire de son tragique assassinat que le centenaire d’Albert Camus (Montauban accueille à cet égard une grandiose rencontre autour de la figure et de l’œuvre d’Albert Camus sur laquelle nous reviendrons dans les colonnes d’Algérie News ) et de Mouloud Feraoun – assassiné par l’OAS en mars 1962 -avec d’autres collègues-dont la vie et l’œuvre furent au centre rencontre-hommage qe lui dédia le Salon international du livre d’Alger (Sila 2013) sous la houlette de l’universitaire-chercheur français Charles Bonn et Rachid Mokhtari, romancier et essayiste algérien en présence du fils de l’auteur du « Fils du pauvre »… D’autres hommages ont été rendus dans le cadre du Sila, notamment à ceux qui nous ont quittés récemment : la romancière précocement disparue, Yamina Mechakra ; la moudjahida, journaliste et poétesse Zhor Zerari ; Henri Alleg, l’auteur de « La Question » qui n’est plus à présenter ; le militant de la cause algérienne et homme de théâtre, Habib Rédha ainsi que le poète syrien,  traducteur avec son épouse le Dr  White Queen d’écrivains algériens francophones.

Mais la mémoire a aussi ses oubliés, ce que l’on ne convoque trop rarement, dont l’action, pourtant attestée a sombré dans l’oubli, dont les œuvres ne sont au programme d’aucun établissement scolaire et inspirent peu les jeunes chercheurs, nous écrit le comité qui s’est constitué en vue d’une célébration, en France et en Algérie, du centenaire d’Emmanuel Roblès, par le biais de multiples manifestations. En effet, bien oublié- sans que l’on puisse s’expliquer pourquoi- Emmanuel Roblès (Oran 1914-Paris 1995). Or, son œuvre compte vingt romans et une dizaine de recueils de nouvelles, douze pièces de théâtre comiques ou dramatiques et plusieurs recueils poétiques. Elle est incontestablement considérable, de portée universelle, embrassant le siècle et une thématique multiforme: les violences et les guerres, l’identité, la liberté, le terrorisme, les prises d’otages, mais aussi l’amour, la passion, l’adultère, la famille… Elle nous interpelle et concerne toujours. Honorée de prix importants, elle conduisit son auteur jusqu’à l’académie Goncourt où il siégea pendant plus de vingt ans. Son action éditoriale, nous rappelle le Collectif-Roblès (pour faire vite) ne fut pas moins importante : en Algérie, Roblès participa avec enthousiasme à la vie culturelle, à la radio et dans de multiples revues, créant lui-même Forge en 1947, où débutèrent plusieurs écrivains maghrébins tels que Kateb Yacine, Mohammed Dib et Malek Ouary. En France, il a fondé dès le début des années 1950 la collection «Méditerranée» aux éditions le Seuil, travaillant inlassablement à la découverte de nouveaux auteurs des deux rives. Bon vent donc à l’entreprise initiée à partir du Fonds Roblès (Limoges-Montpellier) et à l’initiative de son ayant-droit, Mme Jacqueline Roblès Macek !

En diffusant l’information sur les initiatives pour le centenaire d’Emmanuel Roblès, nous avons eu ce retour de notre ami l’écrivain Gil Jouanard : « Je l’ai rencontré (et même accueilli à la gare) à Oran, en 1963 ou 1964. Il venait faire une rencontre (à la librairie Manès je crois, et au Centre culturel français). Je lui ai fait un entretien me semble-t-il pour La République. Auparavant, c’était au tour d’Henri Alleg de venir d’Alger. J’ai aussi publié un long poème de Sénac, qui était venu aussi d’Alger avec ce train qui alors mettait un temps infini ; et Jean était venu uniquement pour assister à la tombée du journal et repartir avec sous le bras un paquet d’exemplaires (il avait tenu à dormir dans l’atelier d’impression du journal afin d’être là pour la tombée et était reparti aussitôt à la gare !!!). Quelle époque ! Et quels hommes ! Roblès était extraordinairement chaleureux». Un témoignage qui se passe de commentaire.

A. K.

Chronique des deux rives - 23 novembre 2013

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